C’est une immense surprise tant Mai 68 fut critiqué, à gauche comme à droite : dans un sondage réalisé par Harris Interactive pour Le Nouveau Magazine littéraire, les Français sont 79 % à défendre l’héritage de Mai. Analyse d’une étude à contre-courant.
Quand on y pense, c’est fou le nombre de pavés acérés que le mythe de Mai 68 s'est pris dans la figure depuis cinquante ans ! Il y eut ceux, venus de la droite traditionnelle, qui visèrent dès l'origine ce mouvement trop spontané pour être honnête dont les germes freudo-marxistes et libertaires allaient assurément saper les fondements de la société, de l'État, de l'autorité et de la famille. Cette « pensée anti-68 » (Serge Audier) culmina en 2007 dans la volonté du candidat Nicolas Sarkozy de « liquider l'héritage » supposément toxique de 68. Puis elle devint un invariant médiatique, voire un running gag, dès lors que l'éditorialiste Éric Zemmour s'en empara pour dénoncer chaque semaine ou presque un mouvement programmé pour « détruire la France traditionnelle ». Puis, plus inattendues, mais lancinantes, il y eut ces nombreuses attaques venues du centre, de la gauche libérale ou de l'extrême gauche, critiquant tour à tour, et selon des mini-cycles historiques très variables, les travers « anti-humanistes » de la pensée 68 (Alain Renaut et Luc Ferry), ses dérives politiques « droits-de-l'hommistes » (Marcel Gauchet), ses traîtres à la cause « passés du col Mao au Rotary » (Guy Hocquenghem), l'héritage impossible du « gauchisme culturel » (Jean-Pierre Le Goff), etc. Sans oublier, last but not least, l'individualisme hédoniste de cette « génération lyrique » (François Ricard) qui – résumé au slogan « jouir sans entraves » – participa activement à l'avènement d'un capitalisme (sans entraves lui aussi).
Parmi ces dernières critiques, certaines furent évidemment salutaires, d'autres injustes, déplacées ou vite datées. Mais toutes démontrèrent l'incroyable passion générée par 1968 dans l'imaginaire et le débat français. Mais aujourd’hui quelle perception les Français en ont-ils ? Et, au fond, a-t-on seulement songé à demander son avis à ce « peuple », exalté par les révolutionnaires de l’époque, à qui l'on prête aujourd'hui une indifférence polie aux célébrations du cinquantenaire – au mieux – ou qui vouerait une haine éternelle à un mouvement responsable de l'anomie néolibérale – au pis ?
Et si l'enquête que vous allez lire ici démontrait l'inverse ? Et si justement, l'heure était venue de regarder, de critiquer, d’apprécier sereinement l’héritage de 68 ? Passer du droit d'inventaire, indispensable, légitime, au droit d'inventer (de nouveau), en défendant les acquis de 68 comme les Français semblent le faire sans complexes dans cette étude ? L'une des conclusions de l'enquête NML/Harris interactive peut le laisser penser : ce sont en effet les plus de 65 ans, ainsi que les profils « soixante-huitards » les plus éduqués, et issus des classes sociales les plus aisées, qui jugent le plus durement Mai 68. C'est un immense paradoxe. Et peut-être la preuve statistique, avec les articles et les auteurs qui suivent, que les meilleurs avocats de Mai 68 sont ceux… qui ne l'ont pas vécu. Légataires universels du mythe. Avec ses forces et ses faiblesses.
L'intégralité du sondage : 50 ans après Mai 68, quel héritage ?
Photos :
Une manifestation étudiante à Paris en mai 1968 AFP
Une grève de l'usine Renault à Billancourt en mai 1968 AFP
Daniel Cohn-Bendit à la Sorbonne en mai 1968 AFP
Jacques Sauvageot et Alain Geismar en mai 1968 AFP
Quand on y pense, c’est fou le nombre de pavés acérés que le mythe de Mai 68 s'est pris dans la figure depuis cinquante ans ! Il y eut ceux, venus de la droite traditionnelle, qui visèrent dès l'origine ce mouvement trop spontané pour être honnête dont les germes freudo-marxistes et libertaires allaient assurément saper les fondements de la société, de l'État, de l'autorité et de la famille. Cette « pensée anti-68 » (Serge Audier) culmina en 2007 dans la volonté du candidat Nicolas Sarkozy de « liquider l'héritage » supposément toxique de 68. Puis elle devint un invariant médiatique, voire un running gag, dès lors que l'éditorialiste Éric Zemmour s'en empara pour dénoncer chaque semaine ou presque un mouvement programmé pour « détruire la France traditionnelle ». Puis, plus inattendues, mais lancinantes, il y eut ces nombreuses attaques venues du centre, de la gauche libérale ou de l'extrême gauche, critiquant tour à tour, et selon des mini-cycles historiques très variables, les travers « anti-humanistes » de la pensée 68 (Alain Renaut et Luc Ferry), ses dérives politiques « droits-de-l'hommistes » (Marcel Gauchet), ses traîtres à la cause « passés du col Mao au Rotary » (Guy Hocquenghem), l'héritage impossible du « gauchisme culturel » (Jean-Pierre Le Goff), etc. Sans oublier, last but not least, l'individualisme hédoniste de cette « génération lyrique » (François Ricard) qui – résumé au slogan « jouir sans entraves » – participa activement à l'avènement d'un capitalisme (sans entraves lui aussi).
Parmi ces dernières critiques, certaines furent évidemment salutaires, d'autres injustes, déplacées ou vite datées. Mais toutes démontrèrent l'incroyable passion générée par 1968 dans l'imaginaire et le débat français. Mais aujourd’hui quelle perception les Français en ont-ils ? Et, au fond, a-t-on seulement songé à demander son avis à ce « peuple », exalté par les révolutionnaires de l’époque, à qui l'on prête aujourd'hui une indifférence polie aux célébrations du cinquantenaire – au mieux – ou qui vouerait une haine éternelle à un mouvement responsable de l'anomie néolibérale – au pis ?
Et si l'enquête que vous allez lire ici démontrait l'inverse ? Et si justement, l'heure était venue de regarder, de critiquer, d’apprécier sereinement l’héritage de 68 ? Passer du droit d'inventaire, indispensable, légitime, au droit d'inventer (de nouveau), en défendant les acquis de 68 comme les Français semblent le faire sans complexes dans cette étude ? L'une des conclusions de l'enquête NML/Harris interactive peut le laisser penser : ce sont en effet les plus de 65 ans, ainsi que les profils « soixante-huitards » les plus éduqués, et issus des classes sociales les plus aisées, qui jugent le plus durement Mai 68. C'est un immense paradoxe. Et peut-être la preuve statistique, avec les articles et les auteurs qui suivent, que les meilleurs avocats de Mai 68 sont ceux… qui ne l'ont pas vécu. Légataires universels du mythe. Avec ses forces et ses faiblesses.
L'intégralité du sondage : 50 ans après Mai 68, quel héritage ?
Photos :
Une manifestation étudiante à Paris en mai 1968 AFP
Une grève de l'usine Renault à Billancourt en mai 1968 AFP
Daniel Cohn-Bendit à la Sorbonne en mai 1968 AFP
Jacques Sauvageot et Alain Geismar en mai 1968 AFP